Charlotte – David Foenkinos
(Gallimard 2014)
Ce roman s’inspire de la vie de Charlotte Salomon.
Une peintre allemande assassinée à vingt-six ans, alors qu’elle était enceinte.
Ma principale source est son œuvre autobiographique : Vie ! ou théâtre ?
David Foenkinos, épigraphe
Billy Wilder disait : « Les pessimistes ont fini à Hollywood, et les optimistes à Auschwitz. »
Note de bas de page
Charlotte Salomon est née le 16 avril 1917 : elle porte le prénom de sa tante qui s’est suicidée. Il y aura bien d’autres suicides dans sa famille, à commencer par celui de sa mère et sœur de la première Charlotte. Elle appartient à la communauté juive et est âgée de seize ans lorsque Hitler accède au pouvoir. C’est sa destinée, jusqu’en 1943, que nous suivons dans un contexte tragique, tant au plan personnel (les drames familiaux et les mensonges sur ces drames) qu’au plan historique (la montée et le triomphe provisoire des nazis).
Jusqu’en 1939 elle vit à Berlin où elle est confrontée, à partir de 1933 à la montée de l’antisémitisme. Elle parvient, néanmoins, à entrer aux Beaux-Arts, en dépit des mesures prises pour interdire quasiment l’accès des juifs. Elle finit par accepter de se réfugier en France avant le début de la guerre et elle s’installe sur la Côte d’Azur où elle connaît de nouvelles persécutions avant d’être finalement arrêtée, avec son mari, en 1943 par les hommes d’Aloïs Brunner.
David Foenkinos prête sa voix de romancier-poète à une artiste peintre dont il veut honorer la mémoire et faire connaître l’œuvre qu’il admire. L’usage, tout au long du texte, du présent apporte une intensité particulière, plaçant le lecteur au plus près des événements rapportés. Un contrepoint est donné par les interventions de l’auteur qui évoque au passé composé ou au présent les démarches qu’il entreprend pour retrouver, au moment où il engage son projet d’écriture, les traces de son personnage. Ces choix énonciatifs instaurent une sorte de lien d’intimité entre Charlotte le narrateur-auteur et le lecteur. Il y a également une dimension de lyrisme qui reste volontairement retenue.
Le texte a recours, par ailleurs, à une forme spécifique : chaque ligne correspond à une phrase et, comme aucune phrase ne va au delà de la ligne, cela impose de n’utiliser que des phrases courtes. Cet aspect volontairement fragmentaire, heurté vient souligner l’émotion lorsque les segments se réduisent dans les moments les plus dramatiques :
Un bruit sourd.
La mère avance, tremblante.
Franziska baigne dans son sang.
Il permet aussi des effets de dramatisation, par exemple lorsque Charlotte est directement prise à partie par son grand-père :
Toi… Charlotte !
CHARLOTTE !
Tu étais un si beau bébé.
Alors pourquoi ?
Pourquoi ?
L’auteur s’explique sur ce choix qui s’est imposé à lui au cours de la longue genèse de l’œuvre :
Je me sentais à l’arrêt à chaque point.
Impossible d’avancer.
C’était une sensation physique, une oppression.
J’éprouvais la nécessité d’aller à la ligne pour respirer.
Alors j’ai compris qu’il fallait l’écrire ainsi.
Forcément, dans un texte tel que celui-là qui affirme le génie de Charlotte Salomon, la question qui se pose est de savoir comment rendre compte par l’écriture d’une œuvre picturale. Fallait-il donner dans l’ekphrasis, décrire de façon détaillée tel ou tel tableau ? Tel n’est pas le propos de David Foenkinos. Il préfère procéder de manière allusive, en mettant en avant le goût pour la couleur ou en fournissant quelques indications sur ce qu’il considère comme sa principale réussite : son autobiographie intitulée Vie ? ou Théâtre ? Cela nous vaut de belles pages où se mêlent les préoccupations de Charlotte mais aussi de David :
Sa vie est devenue mon obsession.
Ce qui compte finalement c’est cette parenté profonde qui unit les deux artistes, parenté qui permet à l’écrivain d’entrer pleinement dans l’œuvre de Charlotte.
Que se passe-t-il quand on découvre l’œuvre ?
Une émotion esthétique majeure.
(…) Toutes les influences d’une vie sont là.
Mais elles s’oublient dans l’éclat de sa particularité.
Pour former un style unique et inédit.
Charlotte est donc une œuvre à part. Roman-poème, tombeau, dialogue par-delà la mort entre deux créateurs à la sensibilité exacerbée : il faut accepter cette errance à laquelle nous sommes conviés. Foenkinos, en tout cas, fait revivre une époque et un personnage marqués par le tragique et il dit avec force et sincérité la passion qu’il voue à une artiste qu’il tient à faire connaître à un plus large public.
Commentaire écrit par Joël Lesueur